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  • Photo du rédacteurJara

Les trois Nornes les plus connues dans la mythologie nordique sont Urðr, Verðandi et Skuld. Ce sont trois filles de géants réputées pour siéger devant le puits d'Urðr, aux pieds d'Yggdrasill. Là, elles arrosent les racines de l'arbre avec l'eau du puits afin qu'elles ne pourrissent jamais.

Ces trois Nornes ont un fort lien avec le destin et le temps pour plusieurs raisons.

L'une des images les plus connues des Nornes est celle où elles « tissent la toile du Wyrd ». Néanmoins, ces trois Nornes là (car il y en existe bien d'autres) n'ont jamais été décrites comme tissant quoi que ce soit. Dans la Völuspá, Urðr, Verðandi et Skuld sont décrites comme gravant l'Ørlög sur des morceaux de bois.

« C'est là, sous l'arbre, qu'apparurent trois vierges savantes en maintes choses. L'une s'appelle Urd, l'autre Verdandi, et toutes deux gravent le bois, et enfin, la troisième est Skuld ; elles édictent les lois, elles fixent la vie des hommes et la destinée des enfants. »

Völuspá, strophe 20

L'Ørlög est en quelque sorte le destin du multivers. Il englobe l'humanité toute entière et les neuf mondes. Si l'on parle bien souvent de destinée individuelle, les trois Nornes elles, ont un rôle bien plus important puisqu'elles s'occupent d'une destinée universelle. Elles ne s'occuperaient donc pas des destinées individuelles de telle où telle personne.

Leur nom à chacune est lié au temps mais a également fait l'objet d'interprétations trop rapides et trop proche des Parques romaines et des Moires grecques qui n'ont en réalité pas beaucoup de rapport.

Urðr est liée au verbe erða et signifie « ils sont devenus »

Verðandi est liée au même verbe erða mais cette fois au prétérit présent et signifie « devenant »

Skuld signifierait « dette » et serait en rapport avec quelque chose que l'on ne peut pas éviter. Nous pouvons faire un lien avec le verbe skulu « il doit ».15

Beaucoup associent les trois Nornes au présent / passé / futur. Néanmoins, le besoin de vouloir associer chaque Nornes à un temps ou une époque, est une erreur. Urðr évoquerait plus un bilan de l'évolution de l'humanité et du multivers. Verðandi, très souvent associée au présent, évoquerait plutôt une action, une évolution en train de se produire mais qui prend du temps. Comment parler de présent pour une action qui a commencé hier et se finira demain ? Verðandi est donc en lien avec le mouvement. Skuld, elle, serait ce qui ne peut pas ne pas être. Elle serait un résultat ou bien, comme déjà évoqué, une dette à payer.

Inutile de préciser que les trois sont indissociables. Parler de temps fixe est donc une erreur. Le passé, le présent et le futur sont trois temps grammaticaux utilisés dans la langue française qui ne correspondent pas aux trois Nornes.

Hormis ces trois Nornes qui demeurent donc au pied d'Yggdrasill, les poèmes eddiques témoignent de plusieurs autres Nornes qui elles, en revanche peuvent apparaître à la naissance d'un nouveau née et ont un impact sur les destinées individuelles.

Lorsque nous parlons de Nornes, nous devons donc bien faire la différence entre les trois Nornes principales qui ont un rôle à l'échelle du multivers et les autres Nornes qui peuvent effectivement « filer » notre destin. Plus que cela, certaines Nornes sont décrites comme protectrices du peuple et des villages et d'autres comme « mauvaises ». Si le rôle des trois Nornes au pied d'Yggdrasill semble assez clair, celui des autres Nornes peut paraître plus éparpillé. Elles apparaissent dans de nombreux poèmes : le Fafnismal, le Gylfaginning, le Reginsmal, le Helgakvida et bien d'autres encore.

A noter que selon le Fafnismal, les Nornes peuvent être de la famille des Ases, celle des Alfes ou bien de celle des Nains.



Jara

Dans la mythologie nordique, après la guerre entre les Ases et les Vanes, ces derniers, pour marquer un acte de réconciliation, crachèrent dans une cuve. De leurs salives mêlées naquit Kvasir. Il était le plus intelligent des êtres et le plus sage, comme l'indique Snorri Sturluson dans l'Edda « […] celui qui est le plus sage de tous et dont le nom est Kvasir. » « Il était si sage que nul ne pouvait lui poser de question auxquelles il n'eût réponse. » Kvasir fut tué par deux nains qui firent couler son sang et le mélangèrent avec du miel. De ce mélange fut créé « un hydromel tel que quiconque en boit devient scalde et savant. » Par la suite, ce fut le géant Suttung qui récupéra cet hydromel et le cacha dans les montagnes de Hnitbiorg et en confia la garde à sa fille Gunnlod. L'hydromel fut finalement volé par Odin qui en but l'intégralité et se métamorphosa en aigle. Lorsque Suttung le vit, il prit également sa forme d'aigle et essaya de le rattraper. Mais Odin arriva à temps à Asgard et régurgita l'hydromel dans des cuves. Depuis ce jour, l'hydromel est la boisson des poètes car Odin le donna aux Ases ainsi qu'aux véritables poètes. Le mythe de Kvasir a souvent été contesté par divers chercheurs qui ne soutiennent pas le sérieux de la retranscription de Snorri Sturluson. Mais...


Photographie : lofotr.no

L'hydromel des Ases peut se rapprocher du « Sóma » présent dans la tradition védique. Dans le Rigveda (texte sacré Hindou) le Sóma est présenté comme une boisson sacrée donnant l'immortalité. Les divinités Indra et Agni en consomment régulièrement. Le Rigveda mentionne également la façon dont cette boisson a été volée. Cachée dans une citadelle céleste par l'archer Kṛśānu, Sóma fut volée par un faucon. Ce dernier échappa à Kṛśānu (comme Odin échappa à Suttung) et livra la boisson à Manu (désignant l'homme archétypal).


Extrait du Rigveda :


« Nous avons bu le soma ;

nous sommes devenus immortels ;

nous sommes allés à la lumière;

nous avons trouvé les dieux. Qu'est-ce que l'hostilité peut nous faire maintenant,

et qu'est-ce que la malice d'un mortel, ô immortel ? »


Pour ce qui est du personnage de Kvasir dans la mythologie nordique, Georges Dumézil note une correspondance avec le géant Mada (Ivresse) du mythe Hindou qui apparaît dans le Mahābhārata. Dans ce mythe, Mada est créé par les deux Nasatya (divinités jumelles) qui souhaitent rejoindre la communauté divine, contre la volonté d'Indra (roi des dieux). Les Nasatya créaient alors le géant Mada et, par crainte, Indra les accepta dans la communauté. Le géant Mada fut détruit et l'ivresse fut distribué en quatre parties : la boisson, les femmes, le jeu, la chasse.


Cette comparaison présente une différence majeure : chez les nordiques la boisson est quelque chose de bénéfique puisque liée à la poésie tandis que chez les hindous elle est présentée comme quelque chose de mauvais. Cela peut s'expliquer par l'évolution de chaque tradition et de leur société respective et que, selon Dumézil « l'Inde n'est pas l'Islande et que les deux histoires se racontaient dans deux civilisations qui avaient évolué dans des sens et dans des décors extrêmement différents, et pour lesquelles les idéologies de l'ivresse étaient devenues presque inverses. »


Mais elles présentent également une ressemblance majeure : Dans les deux histoires, il y a une guerre (Ases/Vanes chez les nordiques et Nasatya/Indra et deva en Inde). Dans les deux histoires nous avons les représentant de la troisième fonction (fécondité et richesse) qui va être mis par la guerre puis la paix sur le même pied d'égalité que les deux autres fonctions (souveraineté magique et force guerrière). La première fonction étant représentée chez les nordiques par les Vanes et en Inde par les Nasatya et les deux autres fonctions par les Ases et les Deva. Ces deux mythes, en conclut Georges Dumézil ne sont rien de moins que le récit de « la formation de la société des dieux ou des hommes » et laissent penser l’existence d'un mythe originel proto-indo-européen.



Sources :


- François-Xavier Dillmann (1991). L'Edda – Récits de mythologie nordique. Gallimard. - Stéphanie Jamison (2015). Le Rigveda - Première poésie religieuse de l'Inde . Presse universitaire d'Oxford. - Georges Dumézil (2010). Loki. Flammarion.

Ces dernières années, le nombre de troupes de reconstitution historique est en constante croissance ; plus particulièrement le nombre de troupes spécialisées sur la période du VIIIe / XIe siècle scandinave, c'est à dire l'âge des vikings. Si beaucoup de troupes basées sur cette époque sont moyennement sérieuses quant à l'historicité de leur costume, d'autres en revanche s'appliquent dans la précision des sources et s'efforcent de transmettre au public une image qui se rapproche au plus près de ce que pouvaient être les anciens scandinaves.

Seulement voilà, nous sommes dans « l'image ». Les reconstitueurs historique ont une démarche qui relève de l'esthétique et uniquement de l'esthétique. Pourtant, la majeure partie des troupes de reconstitution « viking » affirme s'intéresser à la vie quotidienne de l'époque et vouloir partager ce mode de vie au public dans une démarche de transmission de connaissance. Or, l'esthétique étant la priorité (reproductions fidèles des costumes, objets et accessoires découverts lors des fouilles archéologiques et absence d'anachronisme) il y a un point qui est très souvent mis à l'écart : l'éthique.


Pourtant la connaissance de l'éthique est un élément essentiel pour crédibiliser l'esthétique. Elle est le point centrale qui permet de comprendre une société et une époque.

Comment prétendre représenter la vie quotidienne d'une époque sans en connaître l'éthique ?

La connaissance de l'éthique passe par l'étude de la religion de l'époque qui, d'ailleurs, n'avait pas de nom et faisait partie de la vie quotidienne. Elle passe par l'étude de la mythologie et, plus que cela, par l'étude de mythologie comparée. L'âge des vikings n'étant pas la période la plus fournie en sources écrites directes, cela passe par l'étude des autres peuples et civilisations qui ont pu avoir une influence. Cela nécessite de revenir aux origines des indo-européens afin de déterminer l'évolution des peuples, des langages, des morales etc... et d'apporter des hypothèses sur le mode de penser de l'époque et du lieu qui nous intéresse.


Bref, contrairement à la recherche de l'esthétique, la recherche de l'éthique demande de la réflexion.


Entrée d'une médiévale, dans les Hautes-Alpes

Hélas, cette réflexion manque beaucoup dans le milieu de la reconstitution historique, du moins pour la période de l'âge des vikings. On y voit beaucoup, par exemple, d'événements élitistes qui sont nommées « OFF » et qui demandent une esthétique irréprochable (à la limite parfois de l'incohérence tant certains possèdent des œillères et s'interdisent d'admettre qu'un objet archéologique trouvé dans tel pays aurait également pu être porté dans le pays voisin) mais on y voit très rarement des réflexions pertinentes autour de l'éthique et du mode de pensée de l'époque.

Un paradoxe qui grandit dans le milieu. La reconstitution ne se fait « qu'à moitié » et l'intérêt des reconstitueurs ne se tourne que vers l'aspect visuel (au mieux, l'intérêt et partiellement tourné vers la mythologie). Cela laisse un vide au milieu des costumes sourcés Birka portés par des personnes qui ne connaissent que rarement les pensées du personnage qu'ils interprètent.

C'est tout un pan de l'histoire qui est mis de coté. La reconstitution historique favorise l'apparence et délaisse ce qui faisait l'âme même de l'époque qu'elle essaie de reconstruire.

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