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Blog et avis lecture...

Dans la mythologie nordique, après la guerre entre les Ases et les Vanes, ces derniers, pour marquer un acte de réconciliation, crachèrent dans une cuve. De leurs salives mêlées naquit Kvasir. Il était le plus intelligent des êtres et le plus sage, comme l'indique Snorri Sturluson dans l'Edda « […] celui qui est le plus sage de tous et dont le nom est Kvasir. » « Il était si sage que nul ne pouvait lui poser de question auxquelles il n'eût réponse. » Kvasir fut tué par deux nains qui firent couler son sang et le mélangèrent avec du miel. De ce mélange fut créé « un hydromel tel que quiconque en boit devient scalde et savant. » Par la suite, ce fut le géant Suttung qui récupéra cet hydromel et le cacha dans les montagnes de Hnitbiorg et en confia la garde à sa fille Gunnlod. L'hydromel fut finalement volé par Odin qui en but l'intégralité et se métamorphosa en aigle. Lorsque Suttung le vit, il prit également sa forme d'aigle et essaya de le rattraper. Mais Odin arriva à temps à Asgard et régurgita l'hydromel dans des cuves. Depuis ce jour, l'hydromel est la boisson des poètes car Odin le donna aux Ases ainsi qu'aux véritables poètes. Le mythe de Kvasir a souvent été contesté par divers chercheurs qui ne soutiennent pas le sérieux de la retranscription de Snorri Sturluson. Mais...


Photographie : lofotr.no

L'hydromel des Ases peut se rapprocher du « Sóma » présent dans la tradition védique. Dans le Rigveda (texte sacré Hindou) le Sóma est présenté comme une boisson sacrée donnant l'immortalité. Les divinités Indra et Agni en consomment régulièrement. Le Rigveda mentionne également la façon dont cette boisson a été volée. Cachée dans une citadelle céleste par l'archer Kṛśānu, Sóma fut volée par un faucon. Ce dernier échappa à Kṛśānu (comme Odin échappa à Suttung) et livra la boisson à Manu (désignant l'homme archétypal).


Extrait du Rigveda :


« Nous avons bu le soma ;

nous sommes devenus immortels ;

nous sommes allés à la lumière;

nous avons trouvé les dieux. Qu'est-ce que l'hostilité peut nous faire maintenant,

et qu'est-ce que la malice d'un mortel, ô immortel ? »


Pour ce qui est du personnage de Kvasir dans la mythologie nordique, Georges Dumézil note une correspondance avec le géant Mada (Ivresse) du mythe Hindou qui apparaît dans le Mahābhārata. Dans ce mythe, Mada est créé par les deux Nasatya (divinités jumelles) qui souhaitent rejoindre la communauté divine, contre la volonté d'Indra (roi des dieux). Les Nasatya créaient alors le géant Mada et, par crainte, Indra les accepta dans la communauté. Le géant Mada fut détruit et l'ivresse fut distribué en quatre parties : la boisson, les femmes, le jeu, la chasse.


Cette comparaison présente une différence majeure : chez les nordiques la boisson est quelque chose de bénéfique puisque liée à la poésie tandis que chez les hindous elle est présentée comme quelque chose de mauvais. Cela peut s'expliquer par l'évolution de chaque tradition et de leur société respective et que, selon Dumézil « l'Inde n'est pas l'Islande et que les deux histoires se racontaient dans deux civilisations qui avaient évolué dans des sens et dans des décors extrêmement différents, et pour lesquelles les idéologies de l'ivresse étaient devenues presque inverses. »


Mais elles présentent également une ressemblance majeure : Dans les deux histoires, il y a une guerre (Ases/Vanes chez les nordiques et Nasatya/Indra et deva en Inde). Dans les deux histoires nous avons les représentant de la troisième fonction (fécondité et richesse) qui va être mis par la guerre puis la paix sur le même pied d'égalité que les deux autres fonctions (souveraineté magique et force guerrière). La première fonction étant représentée chez les nordiques par les Vanes et en Inde par les Nasatya et les deux autres fonctions par les Ases et les Deva. Ces deux mythes, en conclut Georges Dumézil ne sont rien de moins que le récit de « la formation de la société des dieux ou des hommes » et laissent penser l’existence d'un mythe originel proto-indo-européen.



Sources :


- François-Xavier Dillmann (1991). L'Edda – Récits de mythologie nordique. Gallimard. - Stéphanie Jamison (2015). Le Rigveda - Première poésie religieuse de l'Inde . Presse universitaire d'Oxford. - Georges Dumézil (2010). Loki. Flammarion.

Ces dernières années, le nombre de troupes de reconstitution historique est en constante croissance ; plus particulièrement le nombre de troupes spécialisées sur la période du VIIIe / XIe siècle scandinave, c'est à dire l'âge des vikings. Si beaucoup de troupes basées sur cette époque sont moyennement sérieuses quant à l'historicité de leur costume, d'autres en revanche s'appliquent dans la précision des sources et s'efforcent de transmettre au public une image qui se rapproche au plus près de ce que pouvaient être les anciens scandinaves.

Seulement voilà, nous sommes dans « l'image ». Les reconstitueurs historique ont une démarche qui relève de l'esthétique et uniquement de l'esthétique. Pourtant, la majeure partie des troupes de reconstitution « viking » affirme s'intéresser à la vie quotidienne de l'époque et vouloir partager ce mode de vie au public dans une démarche de transmission de connaissance. Or, l'esthétique étant la priorité (reproductions fidèles des costumes, objets et accessoires découverts lors des fouilles archéologiques et absence d'anachronisme) il y a un point qui est très souvent mis à l'écart : l'éthique.


Pourtant la connaissance de l'éthique est un élément essentiel pour crédibiliser l'esthétique. Elle est le point centrale qui permet de comprendre une société et une époque.

Comment prétendre représenter la vie quotidienne d'une époque sans en connaître l'éthique ?

La connaissance de l'éthique passe par l'étude de la religion de l'époque qui, d'ailleurs, n'avait pas de nom et faisait partie de la vie quotidienne. Elle passe par l'étude de la mythologie et, plus que cela, par l'étude de mythologie comparée. L'âge des vikings n'étant pas la période la plus fournie en sources écrites directes, cela passe par l'étude des autres peuples et civilisations qui ont pu avoir une influence. Cela nécessite de revenir aux origines des indo-européens afin de déterminer l'évolution des peuples, des langages, des morales etc... et d'apporter des hypothèses sur le mode de penser de l'époque et du lieu qui nous intéresse.


Bref, contrairement à la recherche de l'esthétique, la recherche de l'éthique demande de la réflexion.


Entrée d'une médiévale, dans les Hautes-Alpes

Hélas, cette réflexion manque beaucoup dans le milieu de la reconstitution historique, du moins pour la période de l'âge des vikings. On y voit beaucoup, par exemple, d'événements élitistes qui sont nommées « OFF » et qui demandent une esthétique irréprochable (à la limite parfois de l'incohérence tant certains possèdent des œillères et s'interdisent d'admettre qu'un objet archéologique trouvé dans tel pays aurait également pu être porté dans le pays voisin) mais on y voit très rarement des réflexions pertinentes autour de l'éthique et du mode de pensée de l'époque.

Un paradoxe qui grandit dans le milieu. La reconstitution ne se fait « qu'à moitié » et l'intérêt des reconstitueurs ne se tourne que vers l'aspect visuel (au mieux, l'intérêt et partiellement tourné vers la mythologie). Cela laisse un vide au milieu des costumes sourcés Birka portés par des personnes qui ne connaissent que rarement les pensées du personnage qu'ils interprètent.

C'est tout un pan de l'histoire qui est mis de coté. La reconstitution historique favorise l'apparence et délaisse ce qui faisait l'âme même de l'époque qu'elle essaie de reconstruire.

Loki est un personnage qui fait beaucoup parler de lui, surtout depuis ces dernières années. Alors qu'aucun culte ne lui était dédié durant l'âge des vikings, il se retrouve aujourd'hui dans plusieurs polémiques entre ceux qui voient en lui un rajout du christianisme et ceux qui y voient la personnification du chaos, l'ennemi des dieux qui cherche à détruire le monde.

Son rôle dans la mythologie (et nous allons partir du principe que tout le monde connaît sa mythologie) est associé au désordre. Il est également évident que son rôle tient une importance majeure tant il est à l'origine de mythes. Mais, là où certains l'associent au désordre, de par sa nature à semer la discorde, d'autres associent Loki au chaos ; et je pense qu'il est important de faire la différence entre le désordre et le chaos. Le chaos est un désordre beaucoup plus grave où la vie ne peut pas exister. Or, jusqu'à l'épisode du Ragnarök, Loki représente le désordre. Il sème la pagaille chez les Ases sans pour autant mettre l'existence du monde en danger. C'est seulement à partir de la mort de Balder que Loki change de niveau et représente bel et bien le chaos en participant à la destruction du monde.

La question que l'on peut se poser est : Loki est-il nécessaire au bon fonctionnement du monde ? La aussi les avis divergent. Certains pensent que Loki ne peut pas faire partie d'un équilibre car étant le chaos, il doit être éliminé. Pourtant, si l'on s'en réfère à la Lokasenna, Loki et Odin ont effectué un serment tout les deux, ce qui, à première vue, peut sembler étrange venant de Odin qui est censé avoir un minimum de bon sens.

« Te souviens-tu Oðinn, du jour où nous mêlâmes notre sang ? Tu affirmas que tu ne boirais de bière qui ne serait partagée avec moi. »


Loki, Par Arthur Rackham

Pourquoi Odin, créateur du monde, effectuerait-il un serment avec Loki, le chaos ? Peut-être parce que Odin connaît le rôle de Loki, de même que Loki connaît son propre rôle. Peut-être parce que l'idée d'un équilibre est nécessaire au fonctionnement d'un monde. Odin connaissait parfaitement l'avenir ainsi que les futurs agissements de Loki et il a toujours agît en prenant ce dernier en considération. Si nous partons du principe que Odin connaissait l'avenir, et il le connaissait puisqu'il se préparait au Ragnarök, alors, conclure un pacte avec Loki revient à accepter le rôle qu'il est prêt à jouer. Et un tel accord ne peut être effectué que s'il est nécessaire. Loki est nécessaire au bon fonctionnement du monde. Le Ragnarök est nécessaire à l'équilibre et au renouveau du monde. Donc, Loki n'est pas mauvais en soi.

Cela peut d'ailleurs se rapprocher des idées de Salluste le philosophe qui disait que le mal n'existait pas en soi car tout ce qui fait partie du monde est divin. Or, ce qui est divin ne peut pas être mauvais. « Le mal naît par le bien, tout comme naissent, par la lumière absente, les ténèbres, qui n'ont pas d'existence réelle. »

Enfin, une autre opinion sur Loki est celle que Georges Dumézil évoque dans son étude. Loki pourrait représenter une personne en marge de la société. Dans son livre consacré à Loki, Dumézil le compare à Syrdon des légendes Ossètes. Dans les deux personnages nous retrouvons le comportement d'une personne « à moitié adoptée » qui ne fait pas vraiment partie de la famille, mais qui est intelligente et que l'on met à l'écart car on s'en méfie. En face, la personne se défend en utilisant des mensonges et des ruses. Loki et Syrdon représentent tous les deux une intelligence qui peut être incontrôlable car elle est indépendante et amorale.


« Leurs rapports avec l'autre monde, leurs auxiliaires merveilleux dans leurs courses rapides […] leurs dons de métamorphose, d'apparition et de disparition soudaines, de prévision, de vue à distance, etc.. sont ceux-là mêmes qu'on attribuait volontiers dans notre Moyen Age, aux sorciers et aux sorcières et que, sûrement, dans leurs solitaires recherches, des milliers et des milliers d'individus avides ont tâché d'obtenir, et nos ingénieurs auraient-ils inventé le sous-marin et l'avion si tant de générations impuissantes n'avaient pas rêvé de l'homme-poisson et de l'homme-oiseau ? »

Aussi, Loki représente l'intelligence impulsive. Il agît sans se soucier des conséquences de ses actes. Il est le cynique des Ases et dérange car il est indépendant. Néanmoins, il est nécessaire.



(Article écrit pour la page FB du Clan Mannaheim)

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