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Silence et écoute

À plusieurs reprises, le Hávamál nous conseille de nous taire. C'est là le meilleur moyen pour ne pas dire de bêtise : se taire plutôt que de parler pour ne rien dire et que de rire à tout. Le silence est une vertu qu'il faut travailler. Dans notre société actuelle, nous avons pris l'habitude de parler pour « faire la conversation ». Combien de fois vous êtes vous retrouvé dans une discussion à parler de la pluie et du beau temps, pour combler le silence ? Or, le silence est une sagesse.

Le sot

Qui va parmi les hommes

Le mieux est qu'il se taise ;

Nul ne sait

Qu'il n'est capable de rien,

A moins qu'il parle trop ;

On ne sait pas

Qu'il ne sait rien

S'il s'abstient de trop parler.

 

Stupidité en suffisance,

Dit celui-là

Qui jamais ne se tait ;

Une langue volubile

Si elle n'a pas de bride

Souvent se porte préjudice.[1]

 

Cette notion du silence est également très présente dans le stoïcisme et y est davantage développée. Se taire est un exercice qui permet la maîtrise de soi. Il faut éviter les conversations creuses, qui n'apportent rien ainsi que les jugements rapides. C'est donc un exercice de justesse. Afin d'être clair, le sage doit être sobre et mesuré. Le silence nous prépare intérieurement à une parole mesurée, juste et sans excès. Ne rien dire ne signifie pas, ne rien penser. Bien au contraire. Le silence est un espace de méditation et de concentration sur l'essentiel. En exerçant le silence nous exerçons une connexion avec l'âme plutôt qu'avec les agissements extérieurs. Ainsi, celui qui sait se taire, montre qu'il sait se maîtriser, se reconnecter à lui et qu'il n'est pas esclave de ses impulsions. Nous pouvons interpréter cela comme une forme de liberté intérieure.

Voici ce que dit Marc Aurèle dans ses Pensées pour moi-même : « En effet, la plupart de nos paroles et de nos actions n'étant pas nécessaires, les supprimer est s'assurer plus de loisirs et de tranquillité. Il résulte de là qu'il faut, sur chaque chose, se rappeler à soi-même : « Ne serait-ce point là une de ces choses qui ne sont pas nécessaires ? » Et non seulement il faut supprimer les actions qui ne sont pas nécessaires, mais aussi les idées. De cette façon, en effet, les actes qu'elles pourraient entraîner ne s'ensuivront pas. »[2]

Et c'est bien ce que Óðinn nous conseille dans le Hávamál : la modération. Il ne s'agit pas de se taire à tout prix, mais bien de modérer ses paroles, de réfléchir avant de parler et de se maîtriser :

Qu'on ne se cramponne pas à la corne à boire,

Qu'en outre on boive modérément l'hydromel,

Qu'on parle si c'est besoin, sinon qu'on se taise ;

De manquer de bon sens

Nul ne te reprochera

Quand tu irais tôt te coucher.[3]

 

Le silence est également l'écoute. Comme nous l'avons lu dans la quatrième strophe du Hávamál, lorsqu'un invité arrive, nous devons l'écouter. C'est premièrement une forme de respect, mais également un chemin vers la sagesse et la connaissance. Savoir écouter avec attention, sans couper la parole, sans ramener la conversation à soi et sans jugement précipité, est une voie vers la sagesse. C'est en écoutant les sages et leurs conseils que l'on peut nous aussi tendre vers la sagesse. C'est ce que nous apprend également le stoïcisme. L'écoute est l'autre versant du silence. Si le silence est une discipline, l'écoute est une vertu. Elle nous permet une ouverture vers la vérité. Marc Aurèle insistait sur le fait que nous ne devons pas nous cramponner à nos opinions mais être prêt à réviser son jugement. « Si quelqu'un peut me convaincre et me prouver que je pense ou que j'agis mal, je serai heureux de me corriger. Car je cherche la vérité, qui n'a jamais porté dommage à personne. Mais il se nuit, celui qui persiste en son erreur et en son ignorance. »[4] Cela implique une écoute humble, que nous conseille également Óðinn dans le Hávamál.

Enfin, l'écoute de l'autre, c'est reconnaître l'autre comme être social. Nous reverrons cette approche plus loin dans le chapitre. Le Hávamál nous indique que nous sommes des êtres sociaux qui avons besoin les uns des autres. Cela passe en premier lieu par l'écoute.

 

Si l'écoute et le silence sont si importants, la parole elle, est un acte sacré. Chaque mot doit être choisi avec soin car il a son importance capitale. Il n'est pas étonnant de voir, la richesse des poèmes scaldiques. Les poètes étaient vus en grande estime et leurs poèmes pouvaient parfois changer une situation désespérée. Ce fut le cas par exemple lorsque Egill Skallagrímsson déclama son poème devant le roi Eiríkr Blóðøx, afin de sauver sa tête. Le roi en fut tellement conquît qu'il lui épargna la vie. Il va de soi alors, que si la parole était si importante, la modération était alors conseillée et le silence requit si nous n'avions rien à dire d'intelligent. Jan de Vrie évoque d'ailleurs très bien la notion de parole chez les germains : « Dès ce temps-là, la parole était une arme qui n'était pas moins dangereuse que l'épée, sinon bien davantage, parce que ses effets perfides se produisaient dans l'ombre. »[5]

1Régis Boyer, Hávamál, strophes 27 et 29

2Traduction de Mario Meunier, 1964

3Régis Boyer, Hávamál, strophe 19

4Traduction de Mario Meunier, 1964

5Jan de Vries, L'univers mental des germains, Les amis de la culture européenne, 2022, p. 68

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