
Modération
S'il y a bien une chose qui revient souvent dans le Hávamál, c'est la modération. Nous l'avons vu à l'instant avec le silence et l'écoute. Une modération qui demande une maîtrise de soi. Mais ça ne s'arrête pas là. La modération vaut également pour les actions et pour nos désirs. Une vie sans excès est une vie plus sage. Óðinn nous met en garde par exemple contre l'excès d'alcool. Cela revient dans trois strophes du Hávamál, dont la douzième :
N'est pas aussi bonne
Que bonne on la dit
La bière, pour les fils des hommes ;
Car plus il boit,
Moins l'homme garde
La contrôle de ses esprits.[1]
Tout est dit dans le dernier vers. Garder le contrôle de ses esprits est primordial. L'excès nous fait perdre notre maîtrise et nous fait devenir esclave. C'est pourquoi, l'alcool doit être bu avec modération. Il en est de même pour nos désirs. Nous ne devons pas devenir esclave de nos désirs. Cela signifie de savoir les contrôler. Óðinn nous conseille d'ailleurs de savoir nous arrêter, de reconnaître les moments où il faut dire stop.
Le goinfre,
A moins qu'il ne veille à son bon sens,
Mange à se rendre malade pour la vie ;
Souvent par sa panse,
L'idiot provoque le rire
Quand il vient parmi les sages.
Les troupeaux savent
Quand ils doivent rentrer,
Et ils quittent alors le pâturage ;
Mais l'insensé
Jamais ne connaît
La capacité de sa panse.[2]
Ici, la nourriture peut être interprétée comme une métaphore. Le goinfre est celui qui en veut toujours plus, celui qui ne sait pas s'arrêter. Le goinfre devient esclave de ses désirs et de ses impulsions. Ce concept est davantage développé dans le stoïcisme : Garder la mesure dans nos désirs, nos plaisirs, nos actions et nos paroles est la capacité de gérer nos excès comme la colère, la peur, la convoitise etc.. Il ne s'agit pas d'une privation stricte mais bien d'une harmonie avec notre esprit. C'est la capacité de rendre notre esprit maître de lui-même. Nous devons faire appel à la raison pour choisir ce qui est vraiment utile à une vie vertueuse. Les plaisirs ne sont pas condamnables, mais la dépendance l'est. La dépendance est synonyme d'esclavage, or, ce que nous devons rechercher est justement le contrôle de soi. Cela vaut pour les plaisirs mais également pour les émotions. Nous ne devons pas devenir esclave de la colère ou bien de la tristesse par exemple, en nous laissant emporter par nos impulsions. Ce travail se fait en prenant conscience que ce qui est mauvais, ce ne sont pas ces choses extérieures qui nous poussent à l'excès, mais notre jugement sur elles. Nous sommes seuls maîtres de nos jugements. Lorsqu'une personne me met en colère, ce n'est pas la personne elle-même qui me met en colère, c'est le jugement que je porte sur elle. Ainsi, si je juge que cette personne ne me met pas en colère, alors je ne serai pas emportée par la colère. Il en va de même pour nos désirs et nos plaisirs.
Ainsi, lorsque dans le Hávamál, Óðinn nous dit que le goinfre mange à s'en rendre malade pour la vie, il ne fait autre que nous expliquer que celui qui cède à tous ses désirs se rend malade pour la vie. Car s'il est incapable de s'arrêter lui-même, il ne sera jamais satisfait et ne parviendra jamais ni au bonheur, ni à l'harmonie, ni à la sagesse. Il sera à jamais esclave de lui-même.
Dans son Manuel, Épictète nous parle de cette modération nécessaire : « Borne-toi seulement à tendre vers les choses et à t'en éloigner, mais légèrement, avec réserve et modération. »[3]
Cela rejoint le témoignage de Tacite, lorsqu'il décrivait les germains par leur simplicité dans leur mode de vie. Une simplicité dû à une modération et une vie sans excès.
1Régis Boyer, p. 171
2Hávamál strophes 20, 21, Régis Boyer, p. 172
3Traduction de Mario Meunier